[...]
ANNENKOV:
Dora!
Elle se tait.
ANNENKOV:
Est-ce que tu doutes? Je ne te reconnais pas.
DORA:
J'ai froid. Je pense à lui qui doit refuser de trembler pour
ne paraître pas avoir peur.
ANNENKOV:
N'es tu donc plus avec nous?
DORA, elle
se jette sur lui:
Oh Boria, je suis avec vous! J'irai jusqu'au bout. Je hais la tyrannie
et je sais que nous ne pouvons faire autrement. Mais c'est avec un coeur
joyeux que j'ai choisi cela et c'est d'un coeur triste que je m'y maintiens.
Voilà la différence. Nous sommes des prisonniers.
ANNENKOV:
La russie entière est en prison et nous allons faire voler ses
murs en éclats.
DORA:
Donne moi seulement la bombe à lancer et tu verras. J'avancerai
au milieu de la fournaise et mon pas sera pourtant égal. C'est
facile, c'est tellement plus facile de mourir de ses contradictions
que de les vivres. As-tu aimé, as-tu seulement aimé, Boria?
ANNENKOV:
J'ai aimé, mais il y a si longtemps que je ne m'en souviens plus.
DORA:
Combien de temps?
ANNENKOV:
Quatre ans.
DORA:
Il y en a combien que tu diriges l'Organisation?
ANNENKOV:
Quatre ans. (Un temps.) Maintenant
c'est l'organisation que j'aime.
DORA, marchant vers la fenêtre.
Aimer, oui, mais être aimée! ... Non, il faut marcher.
On voudrait s'arrêter. Marche! Marche! On voudrait tendre les
bras et se laisser aller. Mais la sale injustice colle à nous
comme de la glu. Marche! Nous voilà condamnés à
être plus grands que nous-mêmes. Les êtres, les visages,
voilà ce qu'on voudrait aimer. L'amour plutôt que la justice!
Non, il faut marcher. Marche, Dora! Marche, Yanek! (Elle
pleure.) Mais pour lui, le but approche.
ANNENKOV, la
prenant dans les bras.
Il sera gracié.
DORA, le regardant.
Tu sais bien que non. Tu sais bien qu'il ne le faut pas.
Il détourne les yeux.
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